ACADÉMIE de CHARTRES

Semaine 4 : Arthur SCHOPENHAUER

Arthur Schopenhauer

1788  -  1860


Philosophe allemand. Fondateur du pessimisme, il considère que de tous les mondes possibles, «notre monde est le pire qui soit». L'Idée fait place à la Volonté dans cette philosophie pragmatique: la Volonté est le principe fondamental de l'univers, elle est source de vie, source de progrès. C'est cette Volonté universelle, dont la conscience individuelle n'est qu'un moment fugitif, qui pousse l'être à se nourrir du désir de bonheur, bonheur inatteignable qui engendre la souffrance et la douleur, l'état naturel de l'homme selon Schopenhauer. Seul échappatoire: «détruire en nous, par tous les moyens, la Volonté de vivre» et s'évader du désir inassouvissable par l'anéantissement dans le nirvana bouddhique et la contemplation esthétique.

                                    

Biographie

Éléments de biographie (Th. Duret)
«Arthur Schopenhauer est né à Dantzig le 22 février 1788, fils d'un des principaux négociants de la ville. Envoyé très jeune à l'étranger, il séjourna plusieurs années en Angleterre et en France. Il s'initia ainsi de bonne heure à la connaissance des langues, et finit par parler facilement le français, l'anglais, l'italien et même l'espagnol. Il montrait la plus vive répulsion pour la carrière commerciale à laquelle on le destinait; aussi, à la mort de son père, abandonna-t-il le comptoir pour aller étudier à l'Université d'Iéna. Au sortir de l'Université, il visita Weimar et connut Gœthe, puis fit de longs voyages, particulièrement en Italie. Sa fortune se trouva un instant compromise par la mauvaise gestion de sa mère, et, cherchant à se créer une profession, il se fit inscrire à l'Université de Berlin comme privat-docent, pour enseigner la philosophie. Le cours qu'il essaya n'eut aucun succès. Il dut renoncer à l'enseignement que régentaient alors des professeurs célèbres, tels que Hegel, dont il s'était déclaré l'implacable ennemi. En 1832, il s'établit à Francfort qu'il ne quitta plus, et où il mourut le 23 septembre 1860.

[...]

Pour Schopenhauer, vivre est une souffrance. L'existence n'est qu'une suite de peines et de tourments. Il n'y a point de désir qui ne soit suivi de déception, de plaisir qui n'ait pour contrepartie la lassitude, de jouissance qui n'amène le dégoût. Et combien misérable est en lui-même le cours de la vie! Le passé ne nous appartient plus; le présent n'est qu'un moment qui fuit sans cesse, qu'on ne perçoit qu'alors qu'il s'évanouit; l'avenir est une page fermée et indéchiffrable. L'enfant n'a point conscience de soi; le jeune homme, plein de démence et d'illusions, cherche à embrasser des fantômes et à réaliser des rêves; l'homme mûr, désenchanté, se fatigue pour maintenir une existence dont il connaît la trame fragile, et voit déjà le terme prochain; le vieillard assiste à sa destruction, torturé par la maladie et miné par le chagrin. Tout est vain, et en particulier rien n'est plus vain que l'amour qui d'abord embrase l'être humain d'un transport qui semble l'élever au-dessus de lui-même. L'amour n'est que la manifestation de la volonté, du will, qui cherche à produire la vie, dans son appétit insatiable à se manifester, et tout ce qui fait prendre aux actes de l'amour un charme souverain, n'est que la tromperie de la volonté qui nous dupe et nous enivre, afin de nous amener à entretenir la vie. L'homme, pour Schopenhauer, n'est donc qu'un éphémère, qu'une manifestation fortuite d'une puissance occulte, et, à celui dont le cerveau est assez développé pour approfondir la nature des choses, la vie n'apparaît que comme une farce lugubre qui se joue dans la douleur et les angoisses. Arrivé là, il n'y a plus qu'à conclure, comme les bouddhistes, que, la vie étant un mal, il vaudrait mieux qu'elle n'eût jamais commencé, et aussi bien Schopenhauer conclut-il ainsi.»

THÉODORE DURET, «Schopenhauer», Critique d'avant-garde, Paris, Charpentier, 1885


Schopenhauer d'après Harald Höffding

«Schopenhauer, de même que Hegel, prend une place absolument unique dans toute la pensée européenne: il rompt avec le postulat fondamental d'une harmonie de l'existence, sur lequel la théologie et la philosophie occidentales s'étaient toujours jusqu'alors appuyées plus ou moins nettement et — s'autorisant de l'expérience de la misère de la vie — il pose en principe que la racine de l'existence est un besoin aveugle, indomptable, qui jamais ne s'arrête et jamais n'est assouvi. Ce n'est donc pas seulement le problème de la connaissance, mais encore le problème de l'estimation des valeurs qui est posé ici d'une façon tout autre et résolu dans un sens tout autre que chez le groupe de penseurs précédent qu'il considérait pour cette raison comme ses antipodes. Par sa solution du problème de l'existence, Schopenhauer se tient toutefois nettement sur le terrain du Romantisme. Il continue l'opposition romantique contre le rationalisme et les «lumières»; sa philosophie est une théorie soutenue de la limitation et de l'impuissance de la raison. Il sympathise avec le Romantisme dans les recherches qu'il fait pour retrouver l'esprit oriental, qui est pessimiste par opposition à l'optimisme des Occidentaux. Il sympathisait non seulement avec le Romantisme, mais avec l'orthodoxie, en voyant la plus grande signification du christianisme dans son pessimisme. Il attribuait les éléments optimistes du christianisme aux effets produits plus tard par le Judaïsme.»

«Le monde comme volonté et comme représentation»
«Les tendances et les aspirations qui se manifestent dans notre plaisir et dans notre douleur, dans notre peur et dans notre espérance, dans tous nos sentiments et dans toutes nos volitions, sont une révélation du fond dernier de l'existence et nous donnent une clef pour comprendre toute la nature. Si nous persistons dans le point de vue de la connaissance rationnelle, le monde n'est que phénomène, que représentation. Mais si nous procédons par analogie avec notre propre impulsion et notre volonté, nous découvrons que l'essence du monde est la volonté — sous des formes diverses et à des degrés nombreux. — Telles sont les idées essentielles de l'oeuvre principale de Schopenhauer: Lemonde comme volonté et comme représentation (1819).
[...]
L'ouvrage de Schopenhauer peut se comparer à un drame en quatre actes (de même que «l'Ethique» de Spinoza était un drame en cinq actes). Le premier livre traite du monde comme phénomène soumis au principe de raison suffisante. Il renferme la théorie de la connaissance de Schopenhauer déja fondée dans la «Quadruple racine». Du monde comme simple représentation, il remonte à la volonté comme à l'essence la plus intime du monde; c'est là qu'est la solution de l'énigme du monde. Le deuxième livre donne une description détaillée des différents degrés et des différentes formes de la volonté dans la nature. Il dépeint la volonté de vivre comme la tendance aveugle à l'existence qui est active en toutes choses, avançant de degré en degré, employant la connaissance à son service et finissant par prendre conscience de toute sa misère. La question se pose alors de savoir s'il n'est pas possible de se délivrer de cette malheureuse aspiration incessante. Le troisième livre traite de l'art: dans l'observation esthétique de la nature et de la vie il semble que la roue du temps s'arrête et que la volonté soit apaisée. Mais cela ne réussit que pendant des instants isolés. Pour que le but soit complètement atteint, il faut — ainsi que montre le quatrième livre — supprimer totalement sa volonté de vivre dans la pitié ou dans l'ascétisme. L'existence est une tragédie. Le drame n'a pas chez Schopenhauer un dénouement aussi serein, aussi conciliant que chez Spinoza.»

HARALD HÖFFDING, Histoire de la philosophie moderne, Paris, Librairie Félix Alcan, trad. P. Bordier, 3e éd., 1924

Oeuvres

Extrait des Aphorismes sur la sagesse dans la vie
«Un simple coup d'oeil nous fait découvrir les deux ennemis du bonheur humain: ce sont la douleur et l'ennui. En outre, nous pouvons observer que, dans la mesure où nous réussissons à nous éloigner de l'un, nous nous rapprochons de l'autre, et réciproquement; de façon que notre vie représente en réalité une oscillation plus ou moins forte entre les deux.

[...] ce vide intérieur qui se peint sur tant de visages et qui se trahit par une attention toujours en éveil à l'égard de tous les événements, même les plus insignifiants, du monde extérieur; c'est ce vide qui est la véritable source de l'ennui et celui qui en souffre aspire avec avidité à des excitations extérieures, afin de parvenir à mettre en mouvement son esprit et son coeur par n'importe quel moyen.»
(Aphorismes sur la sagesse dans la vie, voir ce texte)

Extrait de Au-delà de la philosophie universitaire, traduction Yannis Constantinidès, Paris, Mille et Une Nuits, 2006 :

"Un gouvernement ne rémunèrera pas des gens pour contredire, directement ou même indirectement, ce qu'il fait proclamer du haut de toutes les chaires par des milliers de prêtres ou de professeurs de religion nommés par lui (...). L'équité exige qu'on ne juge pas la philosophie universitaire seulement du point de vue de son but prétendu, comme on l'a fait jusqu'ici, mais de son but véritable. Celui-ci consiste à inculquer aux futurs référendaires, avocats, médecins, candidats et instituteurs, au plus profond de leurs convictions, la direction appropriée aux vues que l'Etat et son gouvernement nourrissent sur eux. Contre cela, je n'ai rien à objecter; j'acquiesce même à cette manière de voir. (...) La tâche de gouverner les hommes est si lourde que je ne me hasarderais pas à discuter des moyens à employer. "Je remercie Dieu chaque matin de n'avoir pas à me préoccuper de l'Empire romain1", telle a toujours été ma devise. Mais c'est à cette finalité étatique de la philosophie universitaire que l'hégélianierie a dû la faveur ministérielle sans précédent dont elle a joui. Pour elle, en effet, l'Etat était "l'organisme éthique absolument parfait", et elle faisait entièrement reposer le but de l'existence humaine sur l'Etat. Pouvait-il y avoir pour les futurs référendaires, et par conséquent pour les fonctionnaires de l'Etat, une meilleure préparation que celle-ci, sachant que grâce à elle, leur être entier, corps et âme, était totalement dévoué à l'Etat, comme celui de l'abeille à la ruche, et qu'ils n'avaient rien d'autre à faire, ni dans ce monde ni dans un autre, qu'à coopérer, comme de bons rouages, à maintenir en marche la grande machie de l'Etat, cet ultimus finis bonorum2? Le référendaire et l'homme ne faisaient en conséquence qu'un. C'était là une juste apothéose du philistinisme."

Notes
1. Goethe, Faust, I, v 2093
2. Cicéron utilise cette expression pour désigner la fin ultime de l'existence humaine, dans le De Finibus bonorum et malorum.

Lire ce texte dans le document : "Schopenhauer : au-delà de la philosophie universitaire"

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Essai sur le libre-arbitre. Traduit en français pour la première fois et annoté par Salomon Reinach (1858-1932). Paris, F. Alcan, 1894, 212 p. (Bibliothèque nationale de France, Gallica - mode image, format PDF)

Documentation

Bossert, Adolphe (1832-1922). Schopenhauer, l'homme et le philosophe, Paris, Hachette, 1904, VIII-350 p. (Bibliothèque nationale de France, Gallica - mode image, format PDF)

Ducros, Louis (1846-19..). Schopenhauer, les origines de sa métaphysique, ou Les transformations de la chose en soi, de Kant à Schopenhauer, Paris, G. Baillière, 1883, 169 p. (Bibliothèque nationale de France, Gallica - mode image, format PDF)

Fauconnet, André. "Schopenhauer, précurseur de Freud", Mercure de France, 15 décembre 1933, p. 566-577 (Bibliothèque nationale de France, Gallica - mode image, format PDF)


26/01/2012
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